Oui, le format blog est clairement plus doux, plus lent qu’Instagram. D’ailleurs dans Instagram, il y a “Insta” pour “instantané” j’imagine. Et moi j’ai envie de prendre un peu plus mon temps. Je n’abandonne pas mon compte car sur IG j’ai rencontré des ami-e-s, j’ai partagé avec des personnes que j’aimerais avoir en ami.e.s, j’ai découvert des artistes éblouissants et oubliés.
Ecrire sur un blog, ça me permet d’écrire plus longtemps, de me corriger plus facilement, et donc de reprendre mon texte entre deux enfants qui viennent me voir, l’un pour me raconter la blague écrite sur l’opercule de sa Danette, l’autre pour regarder ce que je fais. Oui parce que l’espace de cerveau disponible pour créer, écrire, il est sérieusement amputé quand on devient parent, et notamment quand on vit cette parentalité au féminin dans un couple hétérosexuel, suivez mon regard. Si vous suivez mon regard, vous tombez sur mon mari, et vous vous dites, mais oui alors, qu’est ce qu’il fait, allongé sur le canapé à dormir, il pourrait aider sa femme, qu’elle ait du temps pour écrire, dessiner et devenir la grande créatrice qu’elle rêve d’être. Et là, je suis obligée de vous arrêter car il vous manque un élément invisible à vos yeux à propos de cet homme endormi sur le canapé. Cet homme, appelons-le Olivier, il aimerait bien ne pas dormir, mais il y a 6 ans, il est tombé malade, très malade. Et depuis, il lui manque un paquet de trucs de sa vie d’avant, par exemple l’énergie pour toute une journée de vie de famille.
Alors moi ça m’arrange de pouvoir avoir un texte qui se construit sur plusieurs jours, que je peux écrire par petites touches de 5 minutes par ci, 5 minutes par là. Ne pas oublier de sauvegarder tout le temps, pour ne rien perdre de ces petits bouts d’écriture jetés par dessus l’épaule, en attendant que l’eau bout, que le bain soit à la bonne température, que le lave linge bipe la fin de son essorage.
J’ai envie d’écrire car je suis extrêmement jalouse des pères qui ont le temps de le faire, Ils ont moins de temps de cerveau pris par leurs enfants car :
a) ils ont une femme qui s’en occupe,
b) ils sont divorcés et ont un mi-temps de père.
Cherchons ensemble un écrivain-père connu qui n’entre pas dans une de ces deux catégories? Là comme ça, je vois Baptiste Beaulieu, et c’est un contre exemple, le gars lutte tout ce qu’il peut contre le patriarcat et la domination masculine.
J’ai lu “L’Adversaire” d’Emmanuel Carrère, qui écrit sur l’affaire Romand, j’ai adoré l’écriture de cet auteur, mais j’ai été choquée par la puissance masculine qui se dégage de ce récit. Romand, c’est ce faux médecin qui a menti à sa famille après avoir raté une année en médecine et qui a fait semblant d’être diplômé, puis de travailler dans la recherche médicale. Quand son mensonge a commencé à se fissurer, il a assassiné sa femme, ses deux enfants et ses parents. Carrère a correspondu avec lui pour écrire son livre. Dans son récit l’auteur parle de son enquête sur Romand à la première personne. Je me rappelle d’un passage où il cherche à se rappeler ce qu’il faisait lui, le jour et l’heure où Romand tuait sa famille. Carrère explique qu’il assistait à une réunion parents-prof (image du papa impliqué et moderne); et qu’ensuite il a passé le reste du week-end isolé pour finir son précédent livre. Et cette toute simple phrase m’avait fait tiquer. Ah ouais, on peut s’isoler tout un week-end pour finir un livre ? Pour avoir sa bulle de création ? Ce genre de truc existe ? J’avais fait une pause dans ma lecture, et j’avais eu une pensée pour la femme de Carrère, même pas citée, qui avait donc selon toutes vraisemblances, passé son week-end à s’occuper des enfants.
Plus loin dans ma lecture, j’avais été très troublée (horrifiée) par le traitement qu’il faisait de la femme de Romand, Florence. Il la dépeignait comme une sotte qui ne s’était jamais posé de questions sur le parcours de son mari, trop heureuse de profiter d’une vie rêvée avec un médecin-chercheur de l’OMS. Comme si essayer d’avoir de l’empathie pour elle, de se projeter dans une vie de femme, était impossible pour l’auteur.
Depuis je relève souvent cette forme d’écriture masculine. Je crois que c’est ce qu’en anglais on appelle le male gaze (regard masculin) et vraiment, je n’en peux plus. Une fois qu’on l’a remarqué, on le voit partout, et on sature. Alors tout faire pour essayer d’écrire, et ne pas me sentir enfermée.